Récolte 2022, le début d’une nouvelle ère..?
Entretien avec Camila, responsable des cafés de spécialités chez Serraniagua.
La récolte de café bat son plein et toute la filière s’active pour produire le meilleur du terroir colombien. Entre le prix du café très fluctuant ces derniers mois et les conditions climatiques pour le moins contraignantes, ce mois-ci, nous avons interviewé Camila, la responsable des cafés de spécialité chez Serraniagua. Avec elle, nous allons revenir sur les caractéristiques du groupe de caféiculteurs, les aspects de qualité travaillés avec les caféiculteurs et sur les conditions de la récolte 2022.
• Camila, bonjour. Nous nous connaissons bien, nous avons travaillé ensemble pendant de nombreuses années maintenant. Mais pour nos lecteurs, pourrais-tu te présenter et nous décrire ton rôle dans l’organisation Serraniagua en quelques mots.
• Bonjour à tous les lecteurs, je m’appelle Camila Montoya Marin, je suis native de El Cairo en Colombie. Je fais partie de l’équipe de la Corporación Serraniagua depuis bientôt 6 ans. J’ai commencé comme barista, puis je me suis formée en torréfaction et dégustation de café. Depuis que Serraniagua a développé l’activité d’exportation il y a maintenant 5 ans, je me suis investie petit à petit dans la partie commerciale. Aujourd’hui, je coordonne, en collaboration avec mon équipe, l’ensemble des opérations avec le groupe de producteurs de cafés de spécialité ainsi que la partie d’analyse en laboratoire [ndlr. Cf. Article laboratoire] pour mener à bien les différentes exportations.
• Merci Camila. C’est donc en partie grâce à toi que nous pouvons nous délecter de ce précieux café chez nous en France ! Comme tu l’as très bien dit, tu as une équipe qui t’accompagne. Combien de personnes travaillent avec toi sur cette activité ?
• Nous pouvons séparer l’équipe en deux groupes : une équipe de terrain composée de 3 techniciens agricoles qui accompagnent les producteurs sur les questions agronomiques et le travail sur la qualité. Naturellement, il faut garder en tête que Serraniagua travaille avec plus de 40 familles non seulement sur la production de café, mais également sur les thèmes d’agroécologie en générale, d’agriculture paysanne et de souveraineté alimentaire avec la production de fruits et légumes destinés à l’alimentation familiale, autrement dit ces 3 personnes n’ont pas le temps de s’ennuyer. En parallèle, une personne est chargée de la réception du café [en temps de récolte] et de l’analyse physique des lots acheminés. Enfin, 2 personnes s’occupent de la partie administrative et commerciale. Nous sommes donc 7 personnes pour mener à bien ces opérations.
• Peux-tu nous décrire le groupe de caféiculteurs avec qui Serraniagua travaille : combien sont-ils ? La taille moyenne des fermes ? Leur philosophie ? Y a-t-il de jeunes caféiculteurs ? Pensez-vous que le groupe va s’agrandir cette année ?
• Aujourd’hui, nous travaillons avec 23 familles cafeteras distribuées sur l’ensemble du territoire de El Cairo. Certaines fermes sont en processus de transition agroécologique, notamment les nouveaux arrivants, d’autres sont totalement organiques. C’est un processus long et difficile et de certains caféiculteurs se démoralisent. Le groupe est entré dans un processus de transition. Vous savez, quand les conditions climatiques, productives, économiques sont optimales, les caféiculteurs du village ont tendance à montrer une certaine détermination et de nombreuses personnes ont rejoint la cause de l’agriculture dite organique. Mais avec les conditions climatiques actuelles, et la flambée des prix, certains baissent les bras et rebasculent dans le modèle conventionnel pour « assurer » une meilleure production et profiter des prix élevés… C’est dommage. Pour cela, nous avons décidé de consolider le groupe avec les familles moteurs de cette dynamique et nous sommes entrain de réaliser un travail fantastique avec ces caféiculteurs qui se dédient à une caféiculture amie de la nature.
• Camila, comment peux-tu décrire la récolte 2022, qui s’annonce pour le moins particulière ?
• Permettez-moi de vous dire qu’il n’existe plus à l’heure actuelle de récolte à proprement parlé. Pour vous donner un exemple, nous n’avons pas eu plus de 3 semaines de soleil continu depuis un an. Et il faut bien comprendre que pour que l’arbre de café fleurisse et produise des fruits, il lui faut des périodes marquées de soleil et des périodes de pluie. Mais depuis plus d’un an, le climat est terriblement instable et la pluie affecte énormément la quantité et par la même occasion la qualité. Par exemple, il est très difficile de faire sécher le café, car vous savez comme moi que les agriculteurs le font sécher sur leur toit de séchage, mais s’il pleut constamment, il est impossible d’arriver à un % en deçà de 12%, le taux réglementaire pour pouvoir être commercialisé. Alors bien sûr, nous nous battons corps et âme pour aider les caféiculteurs dans ce processus, quitte à faire sécher le café dans des conditions inhabituelles, mais qui n’impacteront pas la qualité du café au final. Le changement climatique est terrible et réel, et ces conditions nous impacte de manière directe comme caféiculteurs.
Ajoutez à cela le manque de travailleurs récoltants dans le secteur (problème qui s’accentue d’année en année), cette « récolte » est très particulière et difficile cette année.
• Tu parles effectivement du changement climatique : les effets se font ressentir de manière croissante au 4 coins de la planète. Et le 2ème rapport du GIEC est très alarmant… Concrètement, à El Cairo, quels sont les conséquences que l’on peut dès à présent ressentir, et notamment sur la culture du café ?
• Comme je vous l’ai dit, c’est assez impressionnant de voir l’évolution au fil des années, sur l’agriculture comme on a pu le voir, mais notamment dans le vocabulaire des gens. Si on remonte dans le temps, seules quelques personnes assez isolées mentionnaient le changement climatique et alertaient sur ce phénomène, aujourd’hui tout le monde, agriculteurs, commerçants, enfants, adultes ressentent directement les effets et se sentent concernés, en discutent entre eux. Il faut se battre et agir face à cela, créer de la résilience climatique et promouvoir l’agriculture raisonnée, la culture sous ombrage, la protection des ressources hydriques. Un phénomène très préoccupant à El Cairo est l’invasion des cultures d’avocats avec tout ce que cela engendre en termes de dommages environnementaux parfois irréversibles (déforestation, usages en quantité astronomique de pesticides, herbicides, fongicides, accaparement des sources d’eau,…) C’est un véritable carnage qui est entrain de nous envahir et nous encercler sur le territoire. Il faut absolument visibiliser ce problème. Nos fermes et notre santé sont directement impactés. De la même manière, les fortes pluies ininterrompues provoquent des éboulements de terrains et de voies, laissant des zones déjà reculées à l’abandon et sans communication.. Le changement climatique est une réalité et dans les campagnes, les effets sont très visibles et bien souvent irrémédiables.
• C’est une situation vraiment compliquée effectivement, et qui est malheureusement globale. Abordons pour terminer un point qui je crois te tiens à cœur, le terme de café de spécialité. Dans un précédent article, nous avons mentionné défini ce qu’est un café de spécialité et ses caractéristiques. On connait l’excellente qualité en tasse du café de Serraniagua. Pourrais-tu nous expliquer un petit peu comment le groupe de caféiculteurs de Serraniagua travaille les questions de qualité dans leur ferme pour faire de leurs cafés un véritable café de spécialité ? Et quel est le rôle de Serraniagua dans ce processus ?
• Sur ce thème de la qualité en tasse, nous nous efforçons de traiter le sujet de manière intégrale. J’entends par là que la boisson, le café, est le résultat d’un long processus où chaque étape est fondamentale et impacte directement la qualité en tasse. Nous nous attachons donc à travailler en priorité les aspects agronomiques, c’est-à-dire les aspects de fertilisations et nutritions des arbres de café, de manière organique, cela va de soi. Nous avons mis en place des biofabriques où nous produisons pour le groupe des fertilisants organiques adaptés aux conditions de culture, comme le NPK organique, NPK pour azote, phosphore et potassium. En parallèle, nous continuons le travail sur les bonnes pratiques agricoles entrepris il y a plus de 5 ans grâce auquel les caféiculteurs se concentrent sur la promotion de l’ombrage dans les cultures, sur une récolte des fruits exclusivement murs, sur une fermentation contrôlée des grains, sur un séchage optimal pour la commercialisation, etc. Un nombre de pratique qui vise à assurer une qualité en tasse optimum au bout de la chaine.
Nous travaillons également sur des variétés de café, comme la variété Geisha, qui présentent des caractéristiques organoleptiques incroyables. Nous avons commencé ce dernier l’année dernière, la première récolte devrait se faire l’année prochaine, encore une fois si les conditions le permettent.
Le laboratoire et les analyses réalisées à chaque réception de café nous permet de contrôler que le café exporté ne présente aucun défaut en tasse (fermenté, vieilli, infecté par des insectes …) et répond aux standards de qualité des cafés de spécialité.
Et voilà tous les secrets cachés derrière cet excellent café!
• Une dernière question : nous avons réalisé avec Serraniagua des exportations à la voile, le café des Alizés, qu’est-ce que cela inspire pour toi ce mode d’exportation alternatif ?
• Selon moi, l’exportation en voilier est quelque chose de très émouvant pour toutes les parties prenantes, pour les caféiculteurs bien entendu, mais également pour l’organisation Serraniagua, et pour nos alliés commerciaux en Europe. C’est un apport de plus dans le combat que nous réalisons ici dans les fermes de café, engagés pour la protection de l’environnement. Je pense que c’est une dynamique fantastique qui peut certainement avoir un effet papillon. Les gens ici parlent de cette expérience, et se sentent réellement fier que, depuis leur petit village au fin fond de la montagne, leur café traversera les mers à la force du vent. C’est l’aboutissement en toute cohérence d’un travail communautaire et écologique. Nous sommes très fiers de pouvoir participer à cette tendance qui, je l’espère, prendra de plus en plus d’ampleur. Lire l’article “Café des Alizés”
• Un mot pour conclure Camila, un message pour les consommateurs du café Nativos ?
• Je vous dirais que, El Cairo est un endroit magique. Et nous avons la chance de travailler au quotidien dans cet environnement, cette bulle, avec les familles d’agriculteurs, les accompagner en sachant tous les efforts et le travail qu’il y a derrière une tasse de café. Nous nous battons au quotidien pour une agriculture plus saine, pour protéger la nature et tout ce qui la compose. Et j’aimerais que les personnes qui dégustent ce café parti des mois auparavant de notre terre, sentent, perçoivent tout ce travail et tous ces efforts qui auront permis d’émerveiller leurs sens. Savourez ce café d’une manière consciente, et imaginez vous ce petit village entouré de montagne, avec son écosystème et toute la biodiversité qui ajoute un côté magique à ce précieux arome !