Colombie : comment s’organise la récolte de café
en pleine pandémie Covid-19?
Ce n’est un secret pour personne, le monde entier est frappé par cette pandémie de Covid-19. Le monde entier s’est vu enfermé, confiné, mis en quarantaine, isolé. Et bien entendu, le petit village de El Cairo en Colombie n’a pas fait exception. Mais comment vit-on cette période si particulière dans une ferme de café qui doit organiser sa récolte de l’année, au beau milieu des montagnes colombiennes, loin du monde…?
À El Cairo, petit village du nord des Andes occidentales colombiennes, l’ambiance est tout à fait étrange. Au lendemain du décret présidentiel interdisant toute mobilisation et instaurant un couvre-feu quotidien à partir de 18h, le maire du village annonce la fermeture des frontières municipales avec barrage routier. Le transport public est suspendu, les boutiques fermées. La menace de la pandémie est prise au sérieux.
Le café, l’épine dorsale de l’économie colombienne
Et pourtant, parallèlement, à travers la circulaire nº001, à la veille de la récolte annuelle, la Federación Nacional de Cafeteros rassure le secteur cafetero: « Toute la chaine de valeur du café doit continuer le travail. Nous allons prendre toutes les mesures nécessaires pour que les producteurs puissent vendre leur café, que les transporteurs puissent l’acheminer et les exportateurs puissent faire leur travail » assure le président de la Fédération. Car, oui, si le secteur de café est paralysé, c’est toute l’économie colombienne qui risque de s’effondrer.
« Toute la chaine de valeur du café doit continuer le travail ! Si le secteur du café est paralysé, c’est toute l’économie colombienne qui risque de s’effondrer » assure le président de la Federación Nacional de Cafeteros
La récolte de café commence à peine et il n’est bien entendu pas question de la laisser filer, d’autant plus qu’elle s’annonce particulièrement bonne, en quantité et surtout en qualité. Alors on s’adapte au nouveau mode de vie imposé par cette situation exceptionnelle. Dans la zone urbaine, dans un village devenu désert, les points d’achat de café sont autorisés à ouvrir, les transports en Jeep permettant l’acheminement du café vers le village sont maintenus, les déplacements des agriculteurs sont réduits mais pour le moins permis. La vie du village s’organise pour permettre l’approvisionnement des fermes en vivre et autres biens de premières nécessités.
Contre la pandémie, les fermes s’organisent
Et si dans le village, des précautions sont mises en place, les agriculteurs prennent eux aussi leurs mesures afin d’éviter le moindre risque en ces temps d’épidémie. Et c’est bien normal. Dans les grandes exploitations de café, ce sont entre 10 et 15 personnes qui travaillent, se nourrissent, et se logent toute la semaine. Il faut donc faire le nécessaire.
Don Francisney López, de la ferme La Florida située à plus d’une heure à moto de la zone urbaine, nous a accueilli avec plein de malice, et fier du système qu’il a mis en place : « Je désinfecte absolument tout ce qui arrive à la ferme. Et vous allez également y passer ! Plus sérieusement, nous mettons à disposition des solutions hydroalcooliques pour l’ensemble des travailleurs. Les chambres sont désinfectées tous les jours. On essaye de se protéger du moindre risque. »
Comme Francisney, beaucoup d’agriculteurs sont préoccupés par la pandémie et préfèrent s’isoler dans leur ferme, évitant au maximum les déplacements au village. Pour rappel, le pic de l’épidémie est prévu pour le mois de juin en Colombie, il est donc nécessaire de s’armer de patience et rester très vigilent.
Le problème de la main d’œuvre
Chaque année, en période de récolte, le village de El Cairo reçoit près de 700 travailleurs en provenance des quatre coins de Colombie afin de récolter le café. C’est une réelle économie cafetera qui se met temporairement en place pendant trois mois. Mais cette année, la crise du COVID-19 a non seulement paralysé le village, mais a de plus restreint voire interdit l’entrée de personne au sein de la municipalité dans un soucis purement sanitaire. L’afflux des récoltants est donc compromis.
Une période pleine d’incertitude et à la fois d’espoir
Alors, dans les fermes, on s’organise et on fait appel à la main d’œuvre locale. Et paradoxalement cette année, il a été plus facile de recruter des récoltants que durant les récoltes passées. Pour exemple, Fernando, chauffeur de Jeep à El Cairo, nous raconte qu’il a été contraint de s’adapter à cette situation exceptionnelle et de subvenir à ses besoins et ceux de sa famille en allant récolter le précieux fruit sucré :
« Je travaille plus qu’un jour par semaine avec mon véhicule. Alors on a décidé avec mon fils d’aller récolter du café comme au bon vieux temps. C’est assez drôle, dans la ferme où je travaille, plus de la moitié des récoltants n’avait jamais récolté de sa vie… ! Je me retrouve à récolter du café avec un chauffeur de bus, un coiffeur de Pereira et un ouvrier de Bogotá revenu dans son village d’enfance. Alors du coup, c’est chacun son rythme et son rendement, mais en tout cas, l’ambiance est bon enfant ! ».
Et ce témoignage n’est pas un cas isolé. La plupart des fermes sont au complet. Dans cette période pleine d’incertitude, l’économie caféière fait vivre et redonne de l’espoir à de nombreux habitants à El Cairo.
« Je me retrouve à récolter du café avec un chauffeur de bus, un coiffeur de Pereira et un ouvrier de Bogotá revenu dans son village d’enfance. »
Le retour à une réelle agriculture familiale
Cette situation pour le moins insolite a également donné lieu à de nouvelles dynamiques familiales pleines d’allégresse. Don Gerardo Acosta, dans sa ferme La Esmeralda, témoigne : « Vous savez, je crois que je n’ai jamais passé une récolte aussi heureuse. Pour la première fois depuis des années, mes enfants vivant à Cali et Bogotá sont revenus à la ferme. Du coup, on récolte le café en famille. Et pour couronner le tout, le climat est idéal, du soleil la journée, des grains de pluie pendant la nuit. Le café est de qualité et le prix est au plus haut. Que demander de plus ! ».
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La qualité de vie des cafetales
En Colombie, depuis déjà quelques années (voire décennies), il est vrai que la tendance est à l’exode rurale et au vieillissement des populations d’agriculteurs. Cette pandémie aura mis sur le devant de la scène le secteur agricole et montré (si besoin il y avait) la qualité de vie qui règne dans les cafetales : “C’est vrai qu’on est mieux là que dans un immeuble en pleine ville” nous confiait Don Isaac Gonzalez du haut de ses 84 printemps, en train de couper un régime de banane au beau milieu du champs de café. Et on ne saurait le contredire.
Alors bien sur la population attend avec impatience la levée des restrictions qui s’annonce très progressive [comme partout]. Mais une chose est sure, il fait bon vivre cette période de confinement au cœur de la Serranía de los Paraguas, à récolter du café, la tête dans les nuages.
Cédric Allain Sauvage
Correspondant Nativos et Responsable Qualité & Logistique de Serraniagua