Caféiculture et certification biologique en Colombie
1ère partie : Un défi encore précoce
Les tendances du “bio”, de la “consommation responsable” et du « manger sain » sont en vogue depuis quelques années. Les labels fleurissent et avec eux, leur degré d’incertitude: certification bio, Fairtrade, Symbole Producteurs Paysans, Rainforest, etc. Comment s’assurer de la bonne foi de ces labels et au cas d’espèce, comment garantir qu’un café colombien certifié bio réponde effectivement au cahier des charges de l’agriculture biologique?
Un contexte peu favorable
Après les années de « révolution verte » qui ont vu se généraliser la promotion d’une agriculture intensive, technicisée et spécialisée, les consommateurs rêvent d’une agriculture libre de produits chimiques, socialement juste et en accord avec l’environnement. Si en Europe la tendance s’est accélérée ces dernières années, en Colombie, la transition peine à s’effectuer.
La Federación Nacional de Cafeteros (FNC) est l’organisation incontournable lorsque l’on parle de café colombien. Cette organisation exerce un réel monopole sur le secteur et régule l’ensemble des activités en lien de près ou de loin avec le précieux grain de café. Il est important de souligner que le café est coté à la bourse de New York par le « Contrat C ». Le prix de la livre de café fluctue ainsi d’un jour à l’autre au gré des spéculateurs. Il est évident que la spéculation s’exerce principalement sur les prévisions annuelles de production. La FNC est ainsi garante et responsable de garantir un taux de productivité des fermes de café afin de maintenir ces échéances contractuelles.
Une politique de production intensive
Dans les zones rurales, la Federación fait donc un travail d’accompagnement des caféiculteurs afin de garantir les volumes de production et donc les exportations de café du pays. Ce modèle s’inscrit directement dans une stratégie de production intensive : il faut multiplier le nombre de cafetos par hectare, réduire les cultures associées, utiliser le « paquet technologique » pour garantir une bonne fertilisation et un contrôle systémique des insectes et autres maladies. Il en résulte un appauvrissement des sols d’une part, et une dépendance aux produits synthétiques d’autre part.
Même si de nombreuses organisations en Colombie nagent à contre-courant afin de promouvoir l’agriculture libre de produits chimiques, la route est encore longue pour convertir une philosophie encrée depuis déjà quelques générations.
Préserver une agriculture familiale, paysanne et communautaire en accord avec l’environnement.
C’est donc dans ce contexte que notre partenaire locale, l’organisation Serraniagua, s’engage depuis 23 ans pour la protection de l’environnement au sein de la Serranía de los Paraguas, et prône un modèle d’agriculture familiale qui respecte les arbres, les oiseaux, le sol, l’eau, etc. En d’autres termes tout ce qui entre dans la construction de cette formidable symbiose écosystémique.
Pour réaliser ce fabuleux travail, une école d’agro-écologie a été créée au sein de l’organisation afin de donner aux caféiculteurs les clés et les outils nécessaires dans leurs processus de transition.
Ecole d’Agroécologie
Changer d’abord les mentalités
Oui, les ravages faits par près d’un demi-siècle de “révolution verte” laissent des traces, et la transition est difficile à réaliser pour les caféiculteurs habitués depuis toujours à fertiliser comme l’a conseillé le technicien de la Federación. Le premier pas réside alors dans la récupération des sols appauvris et déséquilibrés (voir video – Amélioration des sols) et dans le ré-apprentissage des techniques traditionnelles de fertilisation et de contrôles des insectes (et autres déséquilibres). Des ateliers sont organisés dans les secteurs du village afin de partager ces connaissances en utilisant la stratégie du « campesino a campesino », méthode permettant de revaloriser le savoir des agriculteurs et de le partager entre pairs.
Transmission de savoir-faire entre deux générations : Carlos Quintero (à gauche) et Isaac Gonzalez (à droite)
Entre transition écologique et réalité économique
Cette première étape de récupération des sols est un travail de longue haleine qui a pour but de réaliser une transition écologique des cultures de café sans affecter la « productivité » des plantations et consécutivement les revenus de la famille. On prône alors la diversification des cultures (voir article Agroforesterie) et des plantes associées au café, stratégie fondamentale pour redonner une richesse biologique et biodiverse aux fermes de café, et diversifier l’économie familiale. Pour exemple, associer au café des légumineuses telles que le Guamo ou le carbonero permet une excellente fixation de l’azote dans le sol, élément vital dans le processus productif du caféier, et apportée dans l’agriculture conventionnelle par l’urée synthétique.
Reproduction de micro-organismes pour activation microbiologie des sols
La certification biologique : un processus couteux
Comme en France, l’agriculture biologique en Colombie est régie par des normes strictes contrôlées et vérifiées par des organismes certificateurs couteux et exigeants. En plus d’être compliquée, la certification est surtout très onéreuse, et donc souvent impossible à financer pour les petites fermes familiales dépendantes du cours mondial du café, déjà très bas.
Mutualiser les coûts et les compétences
Nativos participe donc activement dans ce processus de transition en étroite collaboration avec Serraniagua, mais également avec d’autres alliés comme Alliance pour le Climat en Autriche, extrêmement impliqués dans la mitigation de l’impact du réchauffement climatique dans les fermes de café. Les 15 fermes qui composent notre groupe de caféiculteurs désireux de proposer et promouvoir une caféiculture sensée et en accord avec leur amour pour la nature se préparent donc, grâce à ce soutien, à cette transition afin de répondre aux exigences du cahier des charges de l’agriculture biologique.
Si depuis plusieurs années la conversion est en court dans ces fermes, et les fertilisants synthétiques mis au placard, il reste un sinueux chemin à parcourir pour remplir les critères du bio.
Pour exemple, un point charnière est fondamentalement le traitement des eaux résiduelles dans les fermes, fermes souvent installées sur des coteaux générant alors l’érosion et la dégradation accélérée des sols et des cours d’eau. En alliance avec Serraniagua, nous travaillons donc sur des propositions efficientes et en accord avec les ressources locales, comme par exemple l’installation de biodigesteurs (processus de méthanisation artisanal des eaux résiduelles du lavage du café et des excréments des animaux de la ferme) ou de fosses septiques afin de réduire la contamination et répondre aux normes de l’agriculture bio.
Installation d’un Biodigesteur pour la méthanisation des eaux résiduels du lavage du café
Grâce à ces efforts, nous espérons pouvoir démarrer le processus onéreux de certification biologique dans les prochains mois et ainsi répondre aux exigences d’un marché toujours plus conscients des enjeux environnementaux.
Certification biologique, une démarche globale?
Néanmoins, une question reste en suspens : en constatant le travail extraordinaire réalisé depuis des années dans les fermes de café et au sein de l’organisation environnementale Serraniagua, en observant cet amour pour la nature, l’agriculture libre de produits chimiques et en admirant l’impact territorial, social et environnemental de cette organisation locale, on est amené à se demander quel est réellement le sens de ces certifications… Dans quelle mesure une certification peut corroborer et démontrer des décennies d’engagement ? La certification “Agriculture Biologique” valorise t’elle à sa juste valeur le travail et l’engagement du caféiculteur ou d’une ONG pour une culture véritablement viable, durable où les aspects environnementaux, sociaux et économiques sont indisociables?
Alors oui, un produit labellisé Agriculture Biologique est gage de garantie pour le consommateur. Et c’est pour cette raison que nous avons souhaité cette certification. Mais pourquoi ces appellations, devenues malheureusement au fil du temps des outils très marketing et mercantiles, n’iraient pas plus loin dans leur démarche?
Rendez-vous dans un mois pour la suite de l’article…!
Cédric Allain Sauvage
Correspondant Nativos et Responsable Qualité & Logistique de Serraniagua
Comments (2)
Super bon café! On en vend même en Normandie, à Luc sur Mer.
Bravo, vous prouvez que c’est possible de faire du développement durable, responsable et émancipateur
Merci Véronique! 🙂