Caféiculture et certification biologique en Colombie
2ème partie : Un défi encore précoce
Comme on a pu le voir (article 1/2), l’agriculture biologique en Colombie, notamment dans le secteur du café, est encore très poussive et peine à se présenter comme un modèle dominant, confrontée à des lobbys et à des enjeux de marchés et de productions qui ralentissent cette transition agricole. Au niveau local, avec Serraniagua, les conditions sont réunies pour faire face à ce nouveau challenge de la certification. Car oui, c’est un challenge, et qui prête forcément à un certain questionnement, tant les investissements sont conséquents : que signifie réellement être certifié biologique ? Existent-ils des ressorts pernicieux derrière ces labels ?
La certification Agriculture Biologique : des normes avant tout productives
Pour obtenir la certification d’Agriculture Biologique, comme pour toute obtention de label, les fermes ou organisations de producteurs sont tenues de répondre à de nombreux critères afin de respecter un cahier des charges très complet.
Les normes de l’agriculture biologique dans la caféiculture sont très précises et déterminent une liste exhaustives d’actions à réaliser ou non dans les cultures, des produits autorisés pour la fertilisation, le contrôle des insectes et autres soucis de culture. Pour exemple, l’alternative dans l’agriculture biologique pour le contrôle de la broca (ou Hypothenemus hampei), cet insecte qui ravage les cultures de café, traité communément à base d’insecticides très nocifs, est la technique de la reproduction du champignon Beauveria bassiana qui se charge de contrôler cet insecte. Ces champignons sont reproduits en laboratoire mais ne sont nullement contaminant pour l’environnement.
Ces normes et restrictions sont avant tout liées aux modèles et aux modes de productions : pratiques de conservation des sols, amélioration de la fertilisation des sols, réutilisation des résidus, rénovation des cafetos, gestion des insectes, etc. La certification organique est un gage de confiance pour le respect de l’environnement dans les modèles productifs agricoles.
Principal ravageur des cultures de café, la Broca est presente dans toutes les régions du monde
De l’agriculture conventionnelle à l’agriculture bio-conventionnelle labellisée
Cependant, la machine est lancée et ne s’arrêtera probablement pas de sitôt. Le système agricole mondial répond à des besoins globaux et des lois de marché basé sur une logique capitaliste et mercantile. Et si le marché sollicite des produits toujours plus « verts » et garantis par des labels chaque jour plus nombreux, les petits producteurs sont malheureusement face à une impasse qui les oblige à s’adapter. Au niveau des grandes exploitations et de l’agro-industrie, la logique demeure sensiblement la même.
Car oui, s’il faut remplacer un produit dit « conventionnel » par un produit dit « vert » pour répondre à une exigence de marché, les acteurs de l’agro-industrie engageront les moyens nécessaires et disponibles. L’agrobusiness s’est toujours adapté et a alors développé de nouveaux mécanismes permettant de répondre aux cahiers des charges des nouvelles normes de production. C’est alors qu’on voit apparaître sur le marché des grandes marques de fertilisants organiques, bio-fongicides et autres produits autorisés par l’agriculture biologique.
La logique demeure purement capitaliste et enrichie les industriels laissant de coté les petits exploitants issus de l’agriculture familiale.
Un système de marché peu solidaire : les petits producteurs mis sur la touche
L’agriculture familiale reste amplement majoritaire en Colombie avec plus de 80% des exploitations concernées. Face à cette logique mercantile agressive, les petits exploitants peinent à réunir les moyens nécessaires pour répondre à cette nécessité de marché.
Le contexte d’une grande hacienda et d’une petite exploitation caféière est sensiblement différente. Chez l’un, comme on a pu le voir, il s’agit « seulement » de remplacer des intrants par d’autres afin de répondre aux exigences. Chez l’autre, on est face à une agriculture de subsistance, où les ressources économiques sont limitées et où les priorités sont différentes. Pour la plupart des petits producteurs de café où la ferme n’a que 2 ou 3 hectares de production, la démarche d’agriculture organique, sans intrants synthétiques, est depuis longtemps intégrée, n’ayant tout bonnement pas les ressources pour acquérir les produits.
Mais pour répondre aux critères de l’agriculture biologique, de nombreux investissements sont nécessaires, et une capacité administrative est requise et souvent bien loin des réalités rurales, notamment en termes d’éducation. Il en résulte alors un faussé bien réel qui se creuse entre ces deux types d’agriculture.
Pour la plupart des petits producteurs de café, la démarche d’agriculture organique, sans intrants synthétiques, est depuis longtemps intégrée, n’ayant tout bonnement pas les ressources pour acquérir les produits.
Ferme familiale de café, El Cairo Valle – Colombie
De nombreux critères non pris en compte
La certification organique se préoccupe essentiellement du respect des normes dans les systèmes productifs dans le but de répondre aux exigences du marché « bio ». Mais qu’en est-il des aspects sociaux ? Qu’en est-il des critères de commerce équitable ? Qu’en est-il de la protection des zones forestière ?
Le modèle d’agriculture organique dans la caféiculture pâtit de cette vision limitée. La norme ne fait en aucun cas état d’une exigence en matière de revenu pour les travailleurs, en matière de revenu pour la famille. Il ne transparaît nullement une exigence en termes de protection des espaces forestiers, élément fondamental pour la protection des espèces et des écosystèmes. En résumé, la certification ne prend pas en compte la ferme dans son intégralité. Chez Nativos, et en partenariat avec Serraniagua, nous travaillons avec les caféiculteurs sur une démarche systémique où chaque élément de la ferme est pris en compte et interagit en symbiose avec l’environnement. Nous cherchons des solutions en adéquation avec les capacités de chaque famille, de chaque ferme, dans un soucis de cohérence et de compréhension des réalités locales.
La protection des espaces forestiers est un élément fondamental pour la protection des espèces et des écosystèmes
Un café Nativos bientôt certifié ?
Depuis maintenant 3 ans, Nativos travaille main dans la main avec Serraniagua pour développer des actions et appuyer les fermes dans leur démarche. Nous achetons le café à un prix bien au-dessus des standards du marché, afin de valoriser le travail de qualité et les efforts engagés pour une production propre et une protection des espaces.
Alors bien entendu, pour répondre aux besoins de nos consommateurs, nous allons mettre tout en œuvre pour obtenir la certification «Agriculture biologique » pour le café Nativos, gage d’un travail agricole soucieux de l’environnement et en désaccord avec l’usage de produits chimiques et intrants synthétiques. Néanmoins, il ne faudra pas oublier que ce « gage » ou « label » de qualité ne représente qu’un aspect du travail de protection et de conservation réaliser dans les fermes, et qu’il n’inclut pas l’ensemble du travail socio-environnemental mis en œuvre avec les populations.
Cédric Allain Sauvage
Correspondant Nativos et Responsable Qualité & Logistique de Serraniagua